Joris Van de Moortel l erratum musicale for 3 guitars and a metronome

4 Mai - 16 Juin 2012 17 rue des Filles du Calvaire 75003 Paris

"Appréhender l’œuvre de Joris Van de Moortel, c’est plonger au cœur d’une tempête. Creuser son sillon au sein d’un tourbillon de formes, une accumulation de matières et de sons, propulsant dans son sillage les éléments épars d’une même problématique, que veut dire habiter l’espace et comment penser sa construction ?"

Guillaume Benoit

Joris Van de Moortel est un artiste qui défie les catégories. Son travail peut être qualifié de sculptural voir architectural, installatoire, performatif, musical et même pictural. De la même manière, sa pratique absorbe différents référents historiques mais à travers des formes artistiques détournées, presque renversées voire terroristes. Et de fait, ce jeune artiste flamand est iconoclaste. Quand il fait une résidence, il assiège son studio (au sens studiolo) pour en faire un Merz-Bau en reconstruisant dans l’espace de travail un atelier temporaire tel une plateforme où il exerce avec et dedans toutes sortes d’activités. Par la suite, il présente cet espace mis en scène comme une exposition, puis à la fin, il dissocie voire découpe cette « architecture-installation-objet » en différents éléments pour les transporter ailleurs. Cela peut comprendre bien sur de « vraies œuvres » réalisées sur place mais aussi les murs ou la porte et la fenêtre de l’atelier qu’il redéfinit ainsi comme des éléments sculpturaux. Par la suite, l’artiste dispose ces portions d’atelier ou d’autres éléments résiduels dans d’autres espaces d’expositions où ils se transforment en autant d’œuvres à forte charge formelle.

En avant première de cette exposition, en octobre dernier, la galerie a invité Joris van de Moortel à réaliser une pièce monumentale qui fut présentée lors de Pearls of the North – présentation collective d’artistes du Benelux promus par des galeries. A cette occasion, l’artiste nous a proposé de construire un atelier perché sur des tréteaux monumentaux telle une scène musicale entourée de murs borgnes dans laquelle il avait l’intention de travailler pendant 48 heures non stop. Le résultat formel était un grand cube blanc de 4x4X4 mètres duquel ressortait un son de guitare, sorte de réminiscence de la présence de l’artiste. Cette musique vibratoire pouvait attirer le visiteur vers une minuscule fenêtre en hauteur par laquelle il pouvait percevoir un joyeux bordel, traces d’activité créatrice, mélangeant accessoires et instruments musicaux, matériaux de peintre avec des éléments d’ordre picturaux ou sculpturaux plus achevés. Sur le côté, l’artiste a défoncé le mur pour créer un trou par lequel lui-même s’était introduit dans l’habitacle, une chaise était posée à l’envers sur le rebord, celle-ci lui ayant servi à y grimper. Dans ce deuxième temps elle devenait ainsi une sorte de fragile barrière visuelle interdisant un accès total à cet espace réservé. De cette percée, une autre perspective s’ouvrait pourtant, et donnait à voir d’autres éléments de l’intérieur tels des fragments d’une pensée en mouvement.

 

Ce genre d’expérience plastique rejoint d’autres performances que Joris Van de Moortel engage lors de vernissages ou d’happening-concerts avec d’autres musiciens qui se prêtent à des jeux de « massacre » ou de recouvrement que l’artiste provoque pendant le spectacle. Par exemple, les intervenants revêtus de combinaisons et de masques jouent sur une sorte de scène tandis qu’ils se font recouvrir entièrement de peinture projetée. Par la suite, cette scène devient l’œuvre, résiduel incongru nous étonnant pourtant par sa forte résonnance formelle.

Lors d’un autre « concert », les musiciens « cuisinent » et jouent dans le même temps. Au final, les instruments de musique ou, oserais-je dire « du délit », sont recouverts de matière gluante et colorée- ce qui n’est pas sans rappeler l’attitude provocatrice d’un Mike Kelley, en un peu moins gore toutefois. Les pièces qui en résultent sont pourtant souvent « belles » car l’artiste les remet en scène ou plutôt en sculpture, les « soclant » en quelque sorte, leur octroyant ainsi un statut d’œuvre par ce déplacement conceptuel. Il s’agit donc bien de cuisine, d’adjonction de différents éléments musicaux et sculpturaux mais aussi d’une posture radicale qui, si elle est provocatrice et iconoclaste, elle porte également allégeance à l’art en transformant le tout en autant de trophées conceptuels.

Dans d’autres pièces, le musical n’est pas autant «déconstruit». Au contraire, l’importance de la musique dans la démarche est souvent magnifiée par la forme plastique, au delà même des disques vinyles que l’artiste, également musicien, peut éditer à compte d’auteur. En l’occurrence, ma première rencontre avec son travail fut une batterie « muséalisée » dans une sorte de boite-vitrine de style minimal qui glorifiait la citation plastique et musicale. Sorte de postulat artistique, cette pièce pourtant de jeunesse est très affirmée tant dans la forme que dans les références qu’elle implique. Par la suite, il en a fait d’autres versions plus « trash » où le cube-vitrine et/ou, le verre sont partiellement défoncés, ce qui n’est pas sans rappeler le geste ravageur de Steven Parrino qui pratiquait la peinture tout en la détruisant  à coups de masse. Pour lui aussi, symptomatiquement, son geste était souvent accompagné d’une performance musicale agressive.

La démarche de Joris van de Mortel tient elle aussi de cette obédience iconoclaste et d’une tendance minimale déconstruite, contenant du radical, du rock voir du punk et du trash. Pourtant, quand on regarde ses œuvres, il n’y a pas la sensation d’un acte désenchanté à la Parrino. Elles le seraient surement si son travail n’était empreint de détournement et d’humour ce qui, par un renversement poétique, le rapproche des postures de Marcel Duchamp et de Marcel Broodthaers.

A Duchamp, Moortel a d’ailleurs rendu un superbe hommage par une pièce monumentale le grand verre, zelfs (2009) qui rejouait la fameuse valise portative contenant tout l’univers de l’artiste. La version du jeune flamand est une sculpture d’ordre architectural et en est une réinterprétation saisissante et savoureuse pour un initié. La référence à la valise est immédiate et drôle mais, ce qui frappe surtout, c’est la manière dont Joris Van de Moortel repense la pièce en l’habitant, en s’y construisant un bureau, en faisant un espace d’atelier dans lequel il laisse trainer son propre abecedaire formel, tandis que la « sculpture-même » se déploie en hauteur avec un « grand verre » renvoyant directement à la pièce iconique de Duchamp si rebelle à toute interprétation définitive. Là encore, il m’a semblé que cette œuvre se développe comme un manifeste espiègle avec lequel Joris Van de Mortel défie notre analyse critique.

Mais ce n’est pas l’acte le plus provocateur que l’artiste puisse faire. Parfois, il incite carrément au rejet, lors d’une présentation solo par la galerie belge Hoet Bekaert à la foire Artbrussels en 2009, lorsqu’il agglomère toutes les pièces qu’il avait auparavant déployées dans l’espace de la galerie en les attachant avec un énorme élastique, réfutant ainsi leur individualité et en nous interdisant toute lecture sereine de ses œuvres. Sorte d’agglomérat repoussoir, cela dénotait plus d’un manifeste protestataire et donc, du refus de la monstration, plutôt que d’une démarche consensuelle qu’implique un espace aussi marchand qu’une foire.

Il va sans dire que nous ne pouvons savoir réellement à l’avance ce que Joris Van de Moortel nous réserve avec cette première exposition personnelle à la galerie mais il est de ces prises de risque que l’on prend avec un sentiment jubilatoire.

 

Christine Ollier, 2012