Edouard Prulhière

26 Mai - 17 Juillet 2004

"Ce qui est miraculeux à propos du travail de Prulhière c'est la façon avec laquelle il rafraîchit l'automatisme du milieu du 20ème siècle en s’y engageant si directement. Son travail n’est pas étayé par des constructions théoriques, ni limité à une ironie post-moderne. Si dans les mains de Prulhière, la peinture est sujette à un certain nombre de sévices, c'est peut être que la tradition à laquelle son travail se rattache le plus est la bonne vieille Action Painting, qui elle aussi pris des coups de l'histoire. Ces peintures-sculptures mutantes nous font penser à ce qui pourrait arriver aux survivants d'une apocalypse qui se retrouveraient au milieu des décombres d'une collection d'art moderne et assembleraient les morceaux pour en faire des abris et refuges."

 

Raphael Rubinstein, “8 painters : New York”, Edouard Prulhière: Le recycleur, in Art in America, novembre 2003, n°11

Installé à New York, Edouard Prulhière, un peintre français, expose des toiles qui depuis quelques années présentent une multitude colorée de giclures, coulures et éclaboussures, non pas comme des objets plats qui s'accrochent au mur, mais sur des parties d’assemblages muraux « funky » et de véritables sculptures. Dans des oeuvres telles que It's Not Raining in England (2003) et Minha Querida (2003), la toile recouverte d'éclaboussures colorées suggère un rapport avec les limites les plus sauvages de l'expressionnisme abstrait. Ces toiles sont soumises à toutes formes d’outrages.

En construisant ses pièces hybrides, Prulhière froisse, tord et déchire ses toiles, les utilisant plus comme des matériaux de constructions que des œuvres d’art. Certaines sont sommairement enroulées et vissées à des structures en bois ; d’autres sont coupées en lanières et par la suite roulées et tenues par des morceaux de plastiques. On y trouve d'ailleurs des coussins de canapés, morceaux de linoléum, planches de contreplaqué, morceaux de moulures de bois, tous peints d'une façon similaire. Occasionnellement des morceaux de plastique industriel fondu surgissent.

Minha Querida - ma chérie, en Portugais - est une sculpture d'un peu plus de deux mètres de haut. S'élevant d'un côté, une planche de bois de forme irrégulière avec deux jambes fines, une droite, une courbe, une large ouverture biomorphique suggérant le trou de la palette du peintre, partiellement couverte de giclures et coulures jaunes, rouges et bleues; de l'autre côté se dresse une toile violemment froissée qui entoure un support vertical caché. Le couvercle d'une poubelle recouvert, couches après couches, de peinture aux couleurs vibrantes a été brutalement inséré dans l'ouverture de la toile pliée. Une paire de coussins, de forme grossière également couverte de dégoulinures et coulures de gris, blanc, jaune et rouge, est enfoncée à la base de l’œuvre, tandis que trois petites bannières, chacune suspendue par un porte-manteau de bois délicat, accrochées à un élément protubérant de la sculpture, introduisent une note incongrue de fragilité. Striées de peinture grise et blanche de chaque côté, ces bannières pourraient être considérées comme un hommage aux rouleaux suspendus de la peinture chinoise et japonaise.

Une peinture murale récente, Waiting for the Elevator (2003), donne l'impression d'avoir été compressée dans un compacteur d'ordure et héroïquement mais pathétiquement retendue. On y voit déchirures, morceaux de toiles écrasés à peine tenus par des vis et des rondelles en acier, barres de châssis cassées perçant la toile déchirée de part et d'autre allant d'une zone de blanc et de bleu solide à une autre où la peinture a été déversée et étalée au balai brosse. Ces structures bizarres ont beaucoup d'affinités avec d'autres oeuvres d'art. Hybrides entre peinture et sculpture, elles ont une relation avec les travaux anciens de Rauschenberg et ceux plus récents de Marcaccio, de Jessica Stockholder et de Daniel Weiner. Les toiles trouées et lacérées nous rappellent Fontana, les éclaboussures et coulures vibrantes évoquent des peintures plus récentes de Sam Francis, ainsi que d’autres plus anciennes de Norman Bluhm, et celles du milieu des années 80 de Julian Schnabel; tandis que les couleurs vibrantes suggèrent Hans Hoffman. En regardant le travail de Prulhière, je pense aussi à Steven Parrino, à John Chamberlain, aux premières sculptures emballées de Christo, aux toiles saturées de Manollo Millares, aux « tirs » de Niki de Saint Phalle, aux bas reliefs peints du début des années 70 de Lynda Benglis et l’installation abstraite peinture-sol-plafond de Giussepe "Pinot" Gallizio de 1959. L'approche déconstructive de la toile et du châssis de Prulhière a aussi d’évidentes connections avec le mouvement Supports/Surfaces.