Manufacture Hermès, Louviers | Emmanuel Saulnier

Être sous la course suspendue dans l’arc du temps

À Théodore Géricault,

 

L’oeuvre est placée au centre de la Manufacture Hermès à Louviers, dans son vaste patio  d’accueil et de rencontre. Frontale, elle s’inscrit optiquement dans l’orbe de l’un de ses arcs  intérieurs, au regard du visiteur qui entre dans le patio. 

 

Sur neuf mètres de long, cette sculpture se positionne à deux mètres cinquante de hauteur du  sol. Elle se compose de sept aiguilles de trois mètres de long chacune, en acier inox, épointées  de chaque coté. 

Quatre aiguilles sont d’un noir profond et homogène. Elles se chevauchent dans l’espace  horizontalement et prolongent trois aiguilles polies-miroitantes. L’ensemble est structuré par  quatre étrivières de cuir noir accrochées à un double rail de métal noir, placé sur les poutres du  plafond. Ces étrivières verticales scandent l’espace général de l’oeuvre et portent l’ensemble de  façon aérienne et souple. Cette sculpture dessine des lignes directionnelles aiguës en suspens. Ce projet est conçu en écho et citation du tableau de Théodore Géricault Le derby d’Epsom dont  une étude est conservée au Musée des Beaux-Arts de Caen. Cette course dite du « galop volant »  se déroule sous un ciel d’orage sombre ou lumineux par endroits. Sa tension électrique donne le  tempo de la course et la fixe de façon utopique dans l’espace en une temporalité paradoxale.  C’est une traversée du temps sublime où s’associent les énergies animales et humaines en une  geste artistique de haut-vol symbolique.  

 

Cette oeuvre tridimensionnelle tend à se lover dans une partie remarquable du projet de  l’architecte Lina Ghotmeh. L’arc de cercle - l’arche -, qui ponctue façades et intérieurs au rythme  soutenu et répété d’un galop métaphorique juste et constant. Les sept lignes/lances y inscrivent  sept grands traits d’union suspendus en un ensemble séquentiel longitudinal dans une référence  elliptique à la composition de l’oeuvre de Géricault. Ils tracent in situ une portée unique de lignes  tangibles et réfléchissantes. Une poursuite des longues aiguilles nues et denses qui pointent,  agencées par l’efficacité précise et fine du travail du cuir. Y voir l’esprit de la matière, l’histoire  d’une découverte et d’une transmission; celui d’un passage de relais volant et arrêté. C’est  l’interprétation d’une traversée double : celle de l’harmonie d’une architecture et celle de l’histoire  manufacturière et de ses lointains acquis. Ces sens sont associés en un questionnement spatial  serré et sobre. Celui d’une tension relationnelle. Un suspens sculptural pur et énigmatique face à  celui qui le regarde et peut s’interroger. 

 

Emmanuel Saulnier

 
Visible à partir du 7 avril 2023
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